mercredi 16 février 2011

Daube halal

Il est difficile de juger un film sans l’avoir vu, mais il est encore plus inimaginable pour moi de verser un seul centime pour encourager des productions du style de celle qui sort aujourd’hui au cinéma. Le duo pseudo comique de canal +, Eric et Ramzy, dont le niveau humoristique s’égare habituellement dans les profondeurs de la bêtise, commet une fiction cinématographique intitulée "halal police d’Etat". Le titre en dit déjà long, mais les résumés que l’on peut en lire ici ou là sont encore plus affligeants. En bref, un duo de policiers algériens est envoyé en France pour aider la police locale (on est déjà dans le plus pur délire) à résoudre une série d’agressions à l’encontre d’épiciers arabes de Paris. Et, nous apprends le site des cinémas Gaumont Pathé, il découvre la piste d’une étrange secte de catholiques extrémistes… Et de nous préciser que derrière les gags délirants et les répliques absurdes, le film se sert des préjugés racistes pour s’en amuser et en montrer toute la bêtise.
Evidemment, chers lecteurs, vous vous demandez quelle mouche m’a piqué, et pourquoi consacrer ne serait-ce que trois lignes à ce film qui ne devrait pas survivre à l’été dans le souvenir des spectateurs. Tout simplement parce que l’histoire racontée me rappelle furieusement les mésaventures de commerçants de Roubaix. Ils sont bouchers ou charcutiers, et tous les jours ils subissent les pressions non pas d’une quelconque secte, mais d’une partie de la population locale car ils pratiquent une activité scandaleuse : ils vendent du porc ! Et certains, de guerre lasse, finissent par fermer et par quitter la ville vers des lieux plus cléments pour les marchands de cochon. Nous ne sommes plus dans la fiction stupide ou dans les gags à deux francs, nous sommes dans un territoire Français. L’article dont les extraits suivent est paru il y a un an déjà dans le journal Nord Eclair. Il s’agit d’une personne qui s’interroge sur la fermeture d’une boucherie traditionnelle (entendre non-halal) et se demande si c’est la pénibilité du travail qui fait qu’elle ne trouve plus ni côte de porc ni jambon à Roubaix. Réponses en quelques phrases :
[…]les Delcour ont préféré fermer boutique en novembre 2009, vendre l'immeuble et tirer un trait sur le fonds de commerce. Ils ont emménagé à quelques dizaines de kilomètres, profitent de leur retraite mais gardent un goût amer de leur départ prématuré. « Des jeunes ont manifesté leur écœurement parce que nous n'étions pas une boucherie hallal, relate Jean-Luc Delcour.
Une fois, un adolescent a même craché sur mon comptoir... » Son épouse poursuit : « Nous recevions des jets de soda ou de yaourt sur notre vitrine.
[…]Nathalie Desfrennes, présidente de l'association Commerces et Quartiers et de l'union des commerçants de la rue de l'Épeule, se souvient à son tour d'une anecdote : « Un client a protesté dans mon magasin parce que je mangeais une clémentine en période de ramadan ! »
[…] « Une partie de notre clientèle, vieillissante et dépendante, ne pouvait plus se déplacer, reprend M. Delcour. Certains ont arrêté, m'ont-ils dit, de commander des saucisses ou du jambon parce que leur auxiliaire de vie refusait de transporter des morceaux de porc. »
[…] « Les cinq dernières années ont été un enfer ! », résume Mme Delcour[…]
Alors quand deux clowns viennent nous donner des leçons de tolérance et d’antiracisme au travers des difficultés supposés que subiraient les épiciers arabes de Paris de la part de catholiques extrémistes, loin de sourire, encore moins de rire, je dénonce cette nouvelle inversion de la réalité, cette nouvelle propagande.
Les victimes du racisme et de l’obscurantisme existent bel et bien en France. Mais ce ne sont pas celles que l’on veut nous faire croire.